Pourquoi le film Black Panther a créé la différence ?
- Thierry Tessier
- 11 nov. 2024
- 3 min de lecture
Le film Black Panther, réalisé en 2018 par Ryan Coogler, est encore aujourd'hui considéré comme une œuvre majeure en matière de costumes, car pour la première fois, les vêtements y reflètent la diversité de la culture africaine sans adopter une vision misérabiliste ou néocolonialiste. Essayons de comprendre comme la costumière Ruth E. Carter a réussi.
La bande dessinée Black Panther a été publiée pour la première fois en 1977. Le héros y est le roi d'une civilisation africaine cachée au reste du monde et, bien entendu, il se bat pour le bien de l'humanité.

Une fois le décor planté, il nous faut comprendre comment les costumiers ont envisagé la représentation de cette civilisation inconnue de tous.
Deux choix s’offraient à eux : imaginer des costumes très futuristes, ou, au contraire, ancrer la civilisation dans la tradition africaine. C'est cette seconde approche qui a été retenue. En regardant le film, on remarque de nombreuses références aux peuples africains, parmi lesquels :
Les Mursi,
Les Masaïs,
Les Kuba,
Les Karos,
Les Tchokwés,
Les Himbas,
Les Zoulous,
Les Ndébélés,
Les costumes ainsi créés sont une œuvre d’inspiration élégante et discrète, qui enrichit l’intrigue sans tomber dans une flamboyance gratuite.

Nous pourrions longuement discuter du choix de ces peuples : pourquoi les Himbas, les Masaïs ou les Zoulous ?
Tout d’abord, les ethnies africaines choisies comptent parmi les plus connues dans le monde. Les Ndébélés, par exemple, sont reconnus depuis les années 1980, notamment grâce à leur présence dans l’art et la publicité télévisuelle. Les Himbas sont célèbres pour leur tradition unique qui leur interdit de toucher l’eau. Les Masaïs et les Zoulous sont, quant à eux, souvent considérés comme de grands guerriers africains. Ce choix est également hautement politique, car les Zoulous furent le premier peuple d'Afrique à remporter une bataille contre une puissance européenne, en l’occurrence l’Empire britannique, en 1879. Le choix de ces peuples représente donc à la fois la richesse d’un vestiaire incroyable et la fusion de cultures connues pour leur bravoure et leur indépendance face à la colonisation.

Il convient également de noter deux sources d’inspiration très particulières :
La sapologie
L’Égypte antique à l’époque pharaonique
La sapologie est un mouvement profond qui pousse l’élégance à un niveau de raffinement extrême. Les sapeurs s’approprient les codes vestimentaires occidentaux ; si, dans les années 1990, ils imitaient les vêtements des grandes marques occidentales, le mouvement s’est depuis détaché de cette imitation pour intégrer une fusion, notamment avec des couleurs vives, qui rappellent parfois le mouvement Zoot des années 1930 aux États-Unis. Intégrer la sapologie, sans doute l’un des mouvements de mode africains les plus reconnus à l’échelle mondiale, souligne bien que l’Afrique n’est pas uniquement importante pour son passé glorieux, mais qu’elle apporte en permanence un renouveau salutaire au vestiaire contemporain.

Quant à l'inspiration pharaonique, elle revêt une grande importance dans le débat actuel. En effet, la reine douairière de la civilisation cachée porte une coiffe dont la forme est typique des Zoulous, mais ornée de motifs évoquant discrètement les chapiteaux des colonnes de l’Égypte antique. Par ce subtil message, le réalisateur souhaite-t-il signifier que l’Égypte des pharaons puiserait ses origines dans cette civilisation cachée ?

À travers ce geste éminemment politique, le réalisateur affirme que l’Égypte pharaonique est bien une civilisation africaine. Cette réflexion pourrait surprendre certains, mais il ne faut pas oublier que jusqu’aux années 1940, de nombreux égyptologues, en particulier parmi les intellectuels allemands, pensaient que les pharaons étaient uniquement caucasiens. Cette théorie avait été renforcée par la découverte du buste de Néfertiti en 1912.

Le film a connu un succès populaire indéniable, et le travail de Ruth Carter a été récompensé par l’Oscar du meilleur costume en 2019. On peut considérer son travail comme étant d'une grande qualité, à la fois respectueux et audacieux. Ce véritable travail d'inspiration culturelle montre qu'il est possible de réaliser une œuvre de qualité avec intelligence, ce qui reste encore trop rare.
Black Panther est un film clé pour le traitement des costumes dans le septième art et a poussé les costumiers à approfondir leurs connaissances en sociologie, ethnographie, et même en religion, afin d’offrir au spectateur des costumes précis, empreints de références, qui satisfont autant les érudits et que les passionnés de mode.
Un vrai régal à la lecture. Bravo Monsieur Tessier !