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Crimson Peak : Quand l’art du costume sublime l’horreur gothique

  • Thierry Tessier
  • 13 nov. 2024
  • 4 min de lecture


Crimson Peak, film réalisé en 2015 par Guillermo del Toro, est officiellement classé comme un film d'horreur, mais aujourd'hui, nous pourrions plutôt le qualifier de "fantasy horrifique".


En plus d'être porté par une palette de très bons acteurs et actrices, les costumes dessinés par Kate Hawley sont d'une rare richesse.


L'histoire se déroule en 1901 dans le manoir d'Allerdale Hall, surnommé Crimson Peak. La vaste demeure où se déroule la majorité de l'action est un mélange de styles néo-gothique, Arts and Crafts et néo-Renaissance britannique



Hall de Crimson Peak dans un style néo-gothique
Hall de Crimson Peak dans un style néo-gothique
Cage d'escalier de l'hôtel particulier d'Arseni Morozov à Moscou construit en 1895 est typique du goût néo gothique
Cage d'escalier de l'hôtel particulier d'Arseni Morozov à Moscou construit en 1895 est typique du goût néo gothique
Chambre de Crimson Peaek avec un plafond digne du gothique flamboyant
Chambre de Crimson Peaek avec un plafond digne du gothique flamboyant


Clef pendante de la chapelle de la Vierge , elle-même située dans l'église Notre-Dame de Caudebec-en-Caux datée de 1530
Clef pendante de la chapelle de la Vierge , elle-même située dans l'église Notre-Dame de Caudebec-en-Caux datée de 1530

Grande salle de Crimson Peak, avec des poutres rappelant celles de Westminster Hall
Grande salle de Crimson Peak, avec des poutres rappelant celles de Westminster Hall

Westminster Hall - Le plafond à poutres en marteau du Westminster Hall est le plus grand toit médiéval en bois d'Europe du Nord. Mesurant 20,7 mètres sur 73,2 mètres (68 mètres sur 240 pieds), le toit a été commandé en 1393 par Richard II et constitue un chef-d'œuvre de conception.
Westminster Hall - Le plafond à poutres en marteau du Westminster Hall est le plus grand toit médiéval en bois d'Europe du Nord. Mesurant 20,7 mètres sur 73,2 mètres (68 mètres sur 240 pieds), le toit a été commandé en 1393 par Richard II et constitue un chef-d'œuvre de conception.

Les vêtements de Kate Hawley dans Crimson Peak s'inspirent de l'ère édouardienne, du mouvement Arts and Crafts et de la haute couture. Ces influences se reflètent dans des costumes où la précision historique se marie à une vision artistique raffinée. En mêlant des coupes inspirées des débuts du XXe siècle et des détails ornementaux complexes, Hawley crée une esthétique qui incarne à la fois la sophistication et le mystère. Les tissus somptueux et les broderies élaborées apportent une profondeur symbolique aux personnages, accentuant leurs émotions et leur rôle dans l'intrigue. La touche Arts and Crafts, avec son approche romantique et ses formes artistiques, enrichit visuellement les costumes et plonge le spectateur dans une atmosphère à la fois élégante et inquiétante. Enfin, l'approche haute couture de Hawley ajoute un niveau de luxe et de théâtralité qui renforce l'aspect gothique du film, tout en rendant hommage à l'art du costume. Ces vêtements deviennent alors bien plus que de simples éléments d'époque : ils racontent eux-mêmes une histoire.





La première robe dorée que porte l’héroïne lorsqu’elle débarque des États-Unis est une pièce clé du film, et son inspiration est directement tirée d’une robe historique. Ce modèle original, conservé au MET Museum, fut confectionné en 1896 pour une jeune femme de l’époque, symbolisant le raffinement et l’élégance de la fin du XIXe siècle. La créatrice Kate Hawley s’en est servie comme référence pour capturer l’essence de l’élégance édouardienne, en reproduisant des détails précis tels que le tissu somptueux et les ornements délicats. Cette robe, avec sa teinte jaune doré, incarne la lumière et l’innocence du personnage principal, tout en contrastant fortement avec l’atmosphère sombre du manoir qu’elle s’apprête à découvrir. En intégrant une pièce inspirée d’un vêtement authentique, Hawley donne aux costumes une dimension historique et symbolique, rappelant la réalité de l’époque et accentuant l’évolution de l’héroïne au fil de l’intrigue.


Robe de demoiselle, 1896, American.  par A. F. Jammes.  Met Museum.
Robe de demoiselle, 1896, American. par A. F. Jammes. Met Museum.

En s’imprégnant des coutumes locales, l’héroïne adopte progressivement la mode édouardienne, convenant davantage à une jeune femme résidant au Royaume-Uni. Ce style se manifeste dans des éléments distinctifs : une taille fine et cintrée, des manches bouffantes, et l’usage de tissus lourds qui renforcent l'aspect imposant des tenues. Ces détails traduisent l’influence édouardienne, mais des touches subtiles laissent deviner un autre courant esthétique. En effet, certains motifs et ornements empruntés au mouvement Arts and Crafts s’y glissent, ajoutant une dimension plus naturelle et artisanale. Cette combinaison unique enrichit les costumes, leur conférant une complexité qui reflète l'évolution du personnage entre deux cultures. Les tenues deviennent alors le reflet d'un équilibre délicat entre traditions britanniques et souvenirs américains, symbolisant le passage de l’héroïne vers un univers nouveau et énigmatique.




Pour saisir pleinement l’influence esthétique des costumes, il faut se tourner vers le mouvement Arts and Crafts (1860-1910). Le manoir, situé dans le nord de l’Angleterre, près de la frontière écossaise, est en effet ancré dans une région où ce mouvement artistique a pris racine, notamment à partir de Glasgow, son épicentre. Les costumes féminins reflètent cet esprit Arts and Crafts par leur romantisme et leurs lignes fluides, qui rappellent les valeurs artisanales et naturelles prônées par ce courant. La longueur des robes, l’accumulation de plis et l’utilisation de couleurs vives confèrent aux tenues un aspect à la fois élégant et naturel. Ce style, riche en détails et en textures, évoque les paysages et l’atmosphère du nord de l’Angleterre, tout en accentuant la poésie visuelle des scènes. Les robes deviennent ainsi des extensions du manoir lui-même, incarnant l’âme de l’Angleterre rurale et une esthétique romantique unique.



James Craig Annan, Margaret Macdonald Mackintosh, ca. 1901. Modern bromide print, 201 x 147 mm, 7 7/8 x 5 3/4 in. National Portrait Gallery, Purchased 1984
James Craig Annan, Margaret Macdonald Mackintosh, ca. 1901. Modern bromide print, 201 x 147 mm, 7 7/8 x 5 3/4 in. National Portrait Gallery, Purchased 1984

John Parsons, Jane Morris posed by Dante Gabriel Rossetti, 7 July 1865. Albumen print from wet collodion-on-glass negative, 253 x 200 mm. Victoria and Albert Museum [820-1942]
John Parsons, Jane Morris posed by Dante Gabriel Rossetti, 7 July 1865. Albumen print from wet collodion-on-glass negative, 253 x 200 mm. Victoria and Albert Museum [820-1942]

Robe pour le thé d'époque Art & Craft circa 1895
Robe pour le thé d'époque Art & Craft circa 1895
Robe de soirée d'époque Art & Craft circa 1890
Robe de soirée d'époque Art & Craft circa 1890

Enfin, il est important de noter que les personnages, appartenant à une classe sociale aisée, affichent un goût affirmé pour la haute couture. Cela explique pourquoi l’on peut discerner, dans leurs tenues, des influences de créateurs comme Jeanne Paquin ou Mariano Fortuny. Bien que la célèbre robe Delphos de Fortuny date des années 1920, il est probable que Kate Hawley s’en soit inspirée, même inconsciemment, pour insuffler une certaine fluidité et élégance intemporelle aux costumes. Les influences de Paquin, pionnière de la mode moderne, se retrouvent dans les coupes structurées et les détails luxueux qui soulignent la sophistication des personnages. Ainsi, le mélange de styles crée un équilibre entre raffinement et avant-gardisme, contribuant à donner aux costumes un caractère à la fois historique et subtilement visionnaire.


Robe Jeanne Paquin 1895 - Paquin Londres

Albert Harlingue. Lisa, Anna et Margot Duncan, filles adoptives d’Isadora Duncan, en robe Delphos, vers 1920. © Albert Harlingue / Roger-Viollet.
Albert Harlingue. Lisa, Anna et Margot Duncan, filles adoptives d’Isadora Duncan, en robe Delphos, vers 1920. © Albert Harlingue / Roger-Viollet.

Les costumes de Crimson Peak sont remarquablement réussis, car ils parviennent à réunir l'essence d'une époque et d'un lieu tout en laissant s'exprimer la créativité du costumier. Kate Hawley accentue habilement les couleurs, les longueurs et les plissés, ajoutant une dimension artistique aux vêtements. Chaque pièce est conçue pour s'intégrer au cadre du manoir victorien, tout en reflétant la personnalité et l'évolution des personnages. Les teintes saturées, comme les rouges profonds et les jaunes dorés, contrastent avec l’atmosphère sombre et mystérieuse de l'histoire, renforçant le drame visuel. Les longueurs exagérées et les plis abondants apportent quant à eux une touche gothique qui amplifie le sentiment de mystère. Ces choix stylistiques contribuent à ancrer l'intrigue dans un univers à la fois authentique et fantasmé, où les costumes participent pleinement à la narration visuelle.

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