L’EXPOSITION LOUVRE-COUTURE : DES CHEFS-D'ŒUVRE A L'EMPIRE DES MARQUES
- Thierry Tessier
- 12 mai
- 26 min de lecture

Que dire de l’exposition "Louvre-Couture" ? L’annonce de cet événement a fait les gros titres de la presse : la première exposition de mode au Louvre. Pour les passionnés de mode, cette initiative semble marquer une reconnaissance tant attendue. Après tout, le Louvre, temple de l’art universel, accueillant la mode, cette forme d’expression souvent dénigrée comme futile ou superficielle, c’est un pas symbolique, presque historique. Cette reconnaissance tardive intrigue et réjouit à la fois. La mode, cet art du mouvement et de l’éphémère, se voit ainsi enfin considérée comme un objet de réflexion au sein des murs sacrés du plus grand musée du monde.
Pourtant, au-delà de cette annonce triomphale, une question demeure : cette exposition réussit-elle vraiment à démontrer l’influence réciproque entre l’art et la mode, ou n’est-elle qu’une simple opération de communication destinée à rattraper le retard sur des institutions comme le Victoria & Albert Museum à Londres ou le Metropolitan Museum of Art à New York ? Ces deux géants ont, depuis des décennies, accordé une place de choix à la mode dans leurs galeries, la considérant comme une forme d’art à part entière, riche de sens et d’histoire.
À première vue, l’expérience est séduisante. Les silhouettes sont nombreuses, disposées avec soin à travers les vastes galeries, créant une promenade inspirée à travers les siècles et les styles. L’exposition semble vouloir nous plonger dans un dialogue subtil entre les vêtements et les chefs-d’œuvre qui les entourent. Les tenues sont associées à des œuvres classiques, créant des résonances visuelles et culturelles, une sorte de ballet silencieux entre les époques. Les cartels sont rédigés dans un langage simple, visant sans doute à séduire un public large et cosmopolite, celui des touristes qui affluent au Louvre chaque jour. En ce sens, l’exposition atteint son but : démocratiser la mode en l’arrachant à son image de frivolité pour la replacer au cœur des débats artistiques.
Mais après cette première impression, des doutes émergent. Le choix des pièces, le parcours, les mises en contexte... tout semble avoir été pensé pour éviter toute confrontation, toute nuance, toute profondeur critique. En cherchant à plaire au plus grand nombre, l’exposition semble sacrifier ce qui fait la richesse de la mode : son pouvoir de provocation, sa capacité à refléter les changements sociaux, ses liens complexes avec les arts visuels. Les cartels, justement, sont trop simplistes. Ils effleurent à peine les dialogues historiques entre l’art et la mode, se contentant de quelques rapprochements évidents, comme si le public n’était pas prêt à saisir des analogies plus subtiles.
En fin de compte, l’exposition laisse un goût d’inachevé. Elle semble hésiter entre la célébration et l’analyse critique, entre l’illustration didactique et l’exploration intellectuelle. En cherchant à être tout à la fois, elle risque de n’être vraiment rien : ni une exposition d’art, ni une réflexion sérieuse sur la mode. En fermant les portes de cette première tentative, on se surprend à rêver d’une approche plus audacieuse, plus assumée, qui oserait confronter le passé glorieux de l’art à l’audace des créateurs contemporains. Peut-être est-ce là le défi pour une prochaine édition, si toutefois le Louvre décide d’inscrire la mode de manière plus durable dans ses murs.
C’est donc avec l’ambition de clarifier mes réserves que je me lance ici dans une analyse critique de cette exposition, en exposant ses faiblesses et ses maladresses, tout en soulignant ce qu’elle aurait pu être si elle avait osé dépasser les conventions et les attentes du grand public.
I. Louvre Couture : Les dangers d’un titre mal choisi
Le choix du titre d’une exposition est loin d’être anodin. Il oriente la perception du visiteur, encadre l’interprétation des œuvres présentées et fixe les attentes du public. Dans le cas de l’exposition « Louvre Couture – Objets d’art, objets de mode », ce choix est particulièrement révélateur des ambiguïtés de cette entreprise. Le terme « Couture » évoque immédiatement la Haute Couture, un univers distinct du prêt-à-porter, régi par des codes stricts et un savoir-faire exceptionnel reconnu par des appellations protégées. Or, dès ce premier mot, un glissement sémantique s’opère, induisant une confusion que le titre complet ne parvient pas à dissiper.
Les échos médiatiques en témoignent : « Exposition : la Haute Couture au musée du Louvre » pour France Info[1], « La Haute Couture se faufile parmi les objets d’art au Louvre » pour Le Figaro[2], « La Haute Couture s’installe dans les appartements Napoléon III du musée du Louvre » pour Point de Vue[3]. Ces titres, tout comme l’intitulé de l’exposition, trahissent une méprise profonde, voire une négligence sur la nature des pièces présentées. En réalité, l’exposition ne se limite pas à la Haute Couture. On y trouve des créations de prêt-à-porter signées Chloé, Carven ou Jacquemus – des maisons qui, aussi prestigieuses soient-elles, n’appartiennent pas à ce cercle très restreint des grands couturiers. Cette confusion des genres n’est pas anodine. Elle engendre une distorsion du discours sur la mode, trompant un public déjà peu familiarisé avec ces distinctions subtiles.
Peut-on croire un instant que le Louvre, temple de la rigueur muséale, ait commis cette imprécision par inadvertance ? Rien n’est moins sûr. La réputation de l’institution repose sur son expertise, sa capacité à trier, hiérarchiser et mettre en lumière les objets les plus emblématiques de l’histoire de l’art. En adoptant le terme « Couture », les conservateurs ont choisi un vocabulaire chargé, un mot qui évoque immédiatement l’excellence des ateliers parisiens, la rareté et l’exclusivité. Or, en mélangeant prêt-à-porter et Haute Couture, on brouille les lignes, on déforme l’histoire même de la mode. Est-ce une tentative de démocratiser l’image de la Couture, de la rendre plus accessible ? Ou bien une stratégie commerciale, visant à attirer un public plus large, au risque de sacrifier la précision historique ?
Quelles qu’en soient les raisons, cette approche pose question. Elle témoigne d’une volonté de simplification, voire de vulgarisation, qui n’est pas sans rappeler les travers de certaines expositions récentes, plus soucieuses de plaire que d’instruire. Faut-il vraiment abaisser le discours sur la mode pour le rendre populaire ? Peut-on sacrifier la rigueur sur l’autel de l’accessibilité ? Voilà des questions que les conservateurs du Louvre, forts de leur prestige et de leur responsabilité culturelle, auraient dû se poser avant d’opter pour ce titre trompeur. Car en fin de compte, ce n’est pas seulement une exposition que l’on dénature, mais une discipline tout entière, avec son histoire, ses artisans et ses chefs-d’œuvre.
II La période présentée : L'approximation Chronologique : Les risques d'une définition hâtive
En parcourant le communiqué de presse du Louvre, un détail retient immédiatement notre attention : l’absence totale de précision sur la période historique explorée dans l’exposition. Cette omission est en partie corrigée dans le dossier pédagogique associé, où l’on découvre que l’époque étudiée est définie comme « l’époque contemporaine : 1960-2025 ». Cette affirmation mérite un examen critique, car elle témoigne d’une confusion regrettable sur la délimitation des périodes historiques, une question pourtant essentielle pour une institution aussi prestigieuse que le Louvre.
Selon la plupart des universitaires, l’époque contemporaine débute avec les bouleversements de la seconde moitié du XIXe siècle, marqués par l’industrialisation rapide, les transformations économiques et sociales profondes, et les révolutions politiques qui ont façonné le monde moderne. En France, cette période s’étend classiquement de 1850 à nos jours, englobant des phénomènes aussi divers que l’essor des mouvements ouvriers, les deux guerres mondiales, la décolonisation et l’émergence des sociétés post-industrielles. Par conséquent, définir l’époque contemporaine en commençant arbitrairement en 1960 constitue une simplification problématique, voire une erreur de classification historique.
Il serait plus précis, voire plus honnête intellectuellement, de parler d’époque « ultra-contemporaine » pour désigner cette période plus restreinte, qui coïncide avec l’avènement des grands bouleversements culturels et sociaux des années 1960, marqués notamment par l’explosion de la culture jeune, l’influence grandissante des médias de masse et la mondialisation accélérée des échanges culturels et économiques.
D’ailleurs, ce choix de 1960 comme point de départ semble en réalité motivé par une considération spécifiquement française : l’apparition du prêt-à-porter, véritable révolution dans le monde de la mode, qui a profondément modifié les pratiques vestimentaires et le rapport à l’habillement. Cette transformation, impulsée par des créateurs visionnaires comme Pierre Cardin, Yves Saint Laurent ou André Courrèges, a ouvert la voie à une démocratisation sans précédent de la mode, rendant les dernières innovations stylistiques accessibles à un public plus large.
Cependant, faire de ce moment fondateur l’unique critère de démarcation historique pour toute une époque révèle une compréhension étroite, voire réductrice, de l’histoire de la mode. En effet, la mode contemporaine s’inscrit dans un continuum bien plus vaste, marqué par des ruptures et des évolutions successives qui remontent bien au-delà des années 1960.
Ainsi, le choix de cette période pour définir l’époque contemporaine semble moins répondre à une rigueur historique qu’à une vision opportuniste, orientée par des impératifs marketing ou une volonté de simplification discutable. Pour une institution de la portée du Louvre, ce type de concession aux modes du moment risque de brouiller le discours historique et de trahir une mission pédagogique pourtant essentielle.
III le choix des maisons de couture : Sélection par notoriété ou par nécessité ?

Nous félicitons le Louvre pour avoir réuni 45 maisons de mode pour cette exposition, une initiative ambitieuse en apparence. Pourtant, on ne peut que relever des absences flagrantes, comme un sifflement aigu au beau milieu d’un concerto. Où sont donc passées les maisons historiques comme Worth, Paquin, Poiret, Patou, Chéruit ou les sœurs Callot ? Bien sûr, on nous expliquera que ces illustres prédécesseurs sont hors sujet, écartés par un découpage chronologique aussi étroit que le décolleté d’un corsage de la Belle Époque. Mais puisque les dates extrêmes ne sont pas clairement stipulées dans le titre de l’exposition et que peu de visiteurs prennent la peine de plonger dans le dossier pédagogique, le message implicite, et fallacieux, semble être que l’inspiration artistique n’a pris corps qu’à l’ère contemporaine. Une absurdité, presque une insulte à l’histoire du costume.


Mais si ce n’était que cela… En examinant la liste des maisons contemporaines présentes, nous ne pouvons qu’être consternés. Que dire de l’absence de créateurs incontournables comme Guo Pei, Lanvin, Lacroix, Kenzo, Cardin, Stéphane Rolland, Moschino, Dolce Gabbana ou même Paul Smith ? L’omission de Guo Pei, en particulier, frise l’aveuglement. Actuellement exposée au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, cette créatrice virtuose puise ses inspirations dans les arts classiques avec une aisance que peu de ses contemporains peuvent égaler. Alors pourquoi cet effacement ? Serait-ce que le Louvre a préféré jouer la sécurité en évitant une créatrice dont l’œuvre pourrait faire de l’ombre à certains des choix plus hasardeux de cette sélection ? Où est-ce une question géopolitique ?






Et parlons de ce choix surprenant – pour ne pas dire douteux – de mettre en avant Jacquemus à la place de Stéphane Rolland. Jacquemus, certes un nom "bankable" pour les influenceurs et les rédacteurs en quête de buzz, mais un créateur qui, selon ses propres dires, n’a jamais mis les pieds au Louvre. Cela aurait pu être cocasse si ce n’était pas aussi désespérément symptomatique d’un certain opportunisme muséal. Pendant ce temps, Christian Lacroix, passionné d’art classique et ancien pensionnaire de la haute couture, demeure honteusement absent. La nostalgie d’un monde où la rigueur artistique n’était pas sacrifiée sur l’autel de la viralité nous prend alors à la gorge.

Le choix des jeunes designers Charles de Vilmorin et Jacquemus semble répondre à cette logique de la facilité : flatter l’air du temps plutôt que rendre justice à l’histoire du costume. Une stratégie aussi transparente qu’un tulle bon marché. Et que dire de la présence de Marine Serre avec sa tapisserie recomposée ? Certes, l’idée est séduisante, mais n’oublions pas que ce concept fut inventé dans les années 1980 par Maryvonne Herzog. Elle, évidemment, n’a pas la notoriété clinquante nécessaire pour intéresser l’institution.
La question devient alors inévitable : le Louvre a-t-il construit cette exposition pour éduquer et transmettre, ou pour séduire les rédacteurs en quête de gros titres et les foules en quête de selfies ? Derrière cette vitrine luxueuse, c’est une histoire de la mode tronquée, biaisée, et réduite à un banal exercice de communication. Un choix regrettable pour une institution dont l’aura repose justement sur l’exigence et l’intelligence de ses choix curatoriaux.
III. le corpus des silhouettes : entre le génie et la banalité : l'exposition qui manque sa cible
Dans l’ensemble, les choix de silhouettes sont corrects, mais certaines tenues laissent perplexe. Prenons, par exemple, les pièces attribuées à Jean Paul Gaultier, Vivienne Westwood, Hermès, Prada et Castelbajac. Que ces maisons soient présentes dans l’exposition, cela se justifie parfaitement ; leurs créations ont marqué l’histoire de la mode et du dialogue entre l’art et le vêtement. Là n’est pas le problème. Le problème, c’est le choix des pièces elles-mêmes. Qui a bien pu penser que ces vêtements, aussi anecdotiques qu’oubliables, étaient représentatifs du génie créatif de ces maisons ?
Jean Paul Gaultier, par exemple, a construit une grande partie de son œuvre sur des références artistiques puissantes et des détournements iconoclastes, mais ici, on semble avoir retenu une silhouette dépourvue de toute cette charge symbolique. Quant à Vivienne Westwood, sa contribution à la mode ne se limite pas à quelques taffetas rebelles ; c’est une créatrice qui a réinventé les codes du punk et de la culture underground. Hermès, cette maison synonyme de luxe intemporel et de savoir-faire inégalé, mérite plus qu’une évocation simpliste. Prada, avec son ironie subtile et sa capacité à subvertir les tendances, mérite mieux qu’une réminiscence terne et aseptisée. Et que dire de Castelbajac, dont l’univers pop et ironique semble ici réduit à une parodie sans saveur ?


Alors, comment expliquer ces choix étranges ? Est-ce par manque de budget, les véritables chefs-d’œuvre étant inaccessibles ou hors de prix ? Peu probable, car nous parlons du Louvre, cette institution au rayonnement mondial, capable de mobiliser les plus grandes collections, publiques comme privées. Est-ce alors une question de disponibilité ? Là encore, difficile à croire. Les grandes maisons ne refuseraient pas de voir leurs pièces exposées dans un tel contexte, tant elles sont conscientes du prestige que cela représente.
Ou serait-ce plutôt un problème de vision curatoriale ? Un choix délibéré de minimiser le propos, de gommer les aspérités, de lisser les discours pour mieux séduire un public en quête de consensus ? Ce serait là une faute professionnelle. Car exposer la mode, c’est aussi raconter une histoire, mettre en lumière les tensions et les révolutions qui l’ont façonnée. C’est un travail de sélection impitoyable, où chaque pièce doit être un manifeste, une prise de position, et non un vague écho des tendances passées.
En fin de compte, cette absence de justification pour des choix aussi discutables laisse un goût amer. C’est comme si l’exposition avait renoncé à l’ambition pour se contenter d’un alignement médiocre, sans audace ni pertinence. Le Louvre, avec sa puissance symbolique, mérite mieux que cela, et le public aussi.
IV Des cartels en mode mineure : le Louvre perd sa Voix
Soyons clairs : les cartels sont l’âme d’une exposition. Ils en définissent le ton, précisent le contexte et orientent le regard du visiteur. Au Louvre, cette mission est cruciale. Ce musée n’est pas seulement un temple de l’art, mais aussi un lieu d’éducation et de transmission. Nous nous souvennons d’une exposition organisée il y a une vingtaine d’années sur le thème des « vases précieux ». En parcourant les salles, nous avions enrichi notre vocabulaire de plus de trente termes scientifiques extrêmement pointus. Chaque cartel était une petite leçon, une invitation à approfondir sa connaissance. Hélas, ce ne sera pas le cas ici.
Dès les premières salles, une impression d’amateurisme s’impose. Le style même des textes, truffé d’approximations et de maladresses, témoigne d’un manque de rigueur inquiétant. L’usage répété du pronom « on » – marque d’une distance floue et d’une familiarité déplacée – et l’inélégante expression « sorte de » minent la précision attendue dans les textes d’un musée national. Ce type de formulation, digne d’un brouillon rapide, est à proscrire. Un cartel doit éduquer, pas hésiter.
Pire encore, nombre de ces textes semblent se contenter de reproduire les éléments de langage fournis par les maisons de couture. Certes, les créateurs ont leur propre rhétorique, souvent poétique, parfois cryptique, mais le rôle du conservateur n’est-il pas de s’en détacher pour replacer les œuvres dans un contexte plus large ? En se limitant à des citations flatteuses et superficielles, le Louvre ne fait-il pas que glorifier le storytelling des marques, au détriment de son rôle pédagogique ?
Soyons honnêtes : nous avons parfois eu l’impression que ces cartels avaient été rédigés par des étudiants en bachelor, tant les erreurs et les approximations sont nombreuses. Comment ces textes ont-ils pu passer les mailles des conservateurs ? Deux hypothèses se profilent : soit les conservateurs ont délibérément opté pour une approche simplifiée, trahissant ainsi la mission éducative du musée en faveur d’un discours facile pour le grand public ; soit les maisons de mode ont elles-mêmes dicté ces textes, transformant le musée en simple vaisseau de communication. Dans les deux cas, le résultat est affligeant.
Pour illustrer ce constat, je ne peux résister à l’envie de partager avec vous un florilège de ces maladresses, véritables perles de lyrisme involontaire et d’imprécision savoureuse. De quoi nourrir, sans doute, la perplexité des visiteurs, mais certainement pas leur connaissance.

Look Gaultier
Nous lisons sur le cartel : « Dessinant une nouvelle architecture par-dessus la robe, la cage est une référence directe à la crinoline, structure placée sous la jupe pour lui donner de l’ampleur. Celle-ci, particulièrement à la mode au 19ème siècle, peut-atteindre environ dix mètres de circonférence durant les années 1860. Enjouant du paradoxe, jean Paul Gaultier met au-dessus l’élément de mode originellement prévu pour être en dessous. D’un vert presque fluorescent, la cage devient ostentatoire et évoque les faste du Second Empire et les décors qui y sont créés, rivalisant de richesse. »
Critique du cartel : Bien que le cartel mentionne une référence directe à la crinoline du Second Empire, cette interprétation semble inexacte à plusieurs égards. Tout d'abord, la silhouette globale de la robe évoque plus volontiers les lignes élancées et sinueuses des années 1900, marquées par des formes plus naturelles et fluides, en contraste avec l'extravagante ampleur des crinolines de la décennie 1860. Le vert presque fluorescent choisi par Gaultier, plutôt que d'évoquer les fastes du Second Empire, rappelle davantage le vert arsenic, pigment populaire mais toxique de la fin du XIXe siècle, utilisé notamment dans les papiers peints, les vêtements et les accessoires de mode.
Par ailleurs, la structure en cage ne correspond pas à une crinoline historique. Là où la crinoline originelle formait un dôme rigide pour soutenir les vastes jupes de l'époque, celle de Gaultier adopte une silhouette nettement plus futuriste, proche d'une corolle d'arum renversée. Cette inversion des conventions suggère une démarche plus complexe qu'une simple citation historique. En réalité, cette structure pourrait être lue comme une réinterprétation libre, voire une référence visuelle à l'esthétique rétro-futuriste du film Le Cinquième Élément (1997), pour lequel Gaultier a signé les costumes, plutôt qu'un hommage strict au Second Empire.
Enfin, cette tentative d'ancrer la robe dans un cadre historique spécifique semble un choix discutable, les commissaires ayant cherché à imposer une filiation peut-être trop littérale avec l'esthétique de Napoléon III. Pourtant, l'œuvre de Gaultier se caractérise précisément par son hybridité et son refus des classifications rigides, préférant jouer avec les codes plutôt que de s'y soumettre. En ce sens, une lecture plus ouverte et moins ancrée dans une chronologie précise aurait peut-être rendu davantage justice à l'esprit subversif du créateur.

Dior par Galliano
Nous lisons sur le cartel : « Cette silhouette a tout d’une vision impériale avec ses volumes. Sa couleur pourpre est l’imitation de la fourrure d’hermine qui vient souligner le bas de la robe. John Galliano place sa collection sous le signe du film Sissi impératrice (Ernst Marischka, 1956). Parfaitement à sa place dans cet opulent décor Second Empire de 1861. Inspiré par un long voyage à Vienne, à Istanbul et dans l’Europe très 19ème siècle, auquel il même « le glamour des pin-up » et des clins d’œil aux motifs persans ou ottomans, ici ces décors bleus brodés qui font écho aux céramiques produites à Iznik, en actuelle Turquie, à partie du 15ème siècle.
Critique du cartel : L’interprétation proposée sur le cartel semble simplifier l'intention de Galliano en se concentrant uniquement sur le lien entre la robe et les décors des salles de spectacle du XIXe siècle. Ce choix de la couleur pourpre ne renvoie pas uniquement à l'univers des théâtres et des salons, mais évoque aussi la majesté et l'autorité, rappelant les siècles où le pourpre était réservé aux empereurs et aux souverains.
De plus, pour comprendre pleinement cette création, il faut se pencher sur la présentation du look Dior de 2005. Le mannequin portait alors une couronne de style Regina, directement inspirée des regalia britanniques, évoquant les fastes de la couronne d'Angleterre et ses rituels de pouvoir. Le maquillage, avec ses accents exagérés, semble lui-même une allusion à la Reine de Cœur de Alice au Pays des Merveilles, figure de pouvoir fantasque et tyrannique. Cette combinaison renforce l'idée que Galliano ne se contente pas de citer l'opulence des salons politiques, mais propose une version théâtrale et caricaturale du pouvoir, poussant à l'extrême les codes de la majesté.
En exagérant les drapés, en multipliant les motifs damasqués et en jouant avec l'hermine, Galliano construit une royauté fantasmée et grotesque, une mise en scène où le pouvoir est à la fois sacralisé et moqué. Cette approche satirique transforme le vêtement en une véritable performance, un costume d'apparat conçu pour défier les conventions historiques et rappeler que, comme au théâtre, le pouvoir est souvent une illusion. Cette lecture, bien plus complexe que celle proposée par le cartel, rétablit le caractère fondamentalement ironique et subversif de l'œuvre de Galliano.

Balenciaga
Nous lisons sur le cartel : « Cette robe à crinoline en velours contrecollé, abstraite, aérienne, légère, hésite entre inspiration du Second Empire et sorte de corps flottant. Au De-là du saisissement, la référence à Cristobal Balenciaga (1895-1972) détonne, autant la forme sculpturale que la ligne esthétique. A la presse, Demna éclaire l’esprit de ces robes en ces mots : « les robes de bal nous ramènent aux débuts de Balenciaga, quand Cristobal a débuté en Espagne, [] Mais nous voulions être sûrs d’en faire des robes portables, et si vous retirez la crinoline, vous trouvez une sorte de robe gothique. »
Critique du cartel : Ce cartel semble particulièrement maladroit, à la fois dans son style et dans son contenu. Parler d'une "crinoline abstraite" relève d'une incompréhension fondamentale de la structure présentée. Une crinoline, par définition, est une armature conçue pour soutenir des jupes volumineuses et lui donner une forme hémisphérique. Dans le cas de cette robe, nous sommes face à une structure nettement plus classique, inspirée des lignes des années 1860, sans trace de déconstruction ou de réinvention formelle. Utiliser le terme "abstraite" pour décrire une forme aussi précisément codifiée relève donc d'une erreur manifeste.
De plus, affirmer que cette création "détonne" par rapport à l'esthétique de Cristóbal Balenciaga est également inexact. Balenciaga, maître de la coupe et de la structure, a toujours cultivé une esthétique marquée par des volumes architecturaux et des lignes pures, parfaitement en écho avec la silhouette ici présentée. Cette robe noire, avec sa forme majestueuse et sa présence imposante, s'inscrit au contraire dans une tradition de l'élégance sobre et monumentale que Balenciaga a toujours cultivée.
Quant à la référence au gothique dans la citation de Demna, elle semble particulièrement déplacée. L'association entre le noir et le gothique repose sur un cliché simpliste, ignorant le fait que, dans la tradition espagnole, le noir a longtemps été une couleur de prestige, associée à la puissance et à la solennité, bien avant de devenir un symbole de deuil en Europe. En réalité, ce noir profond rappelle davantage les somptueux velours portés à la cour des Habsbourg, où le noir était un signe de pouvoir et de richesse.
En somme, ce cartel passe à côté de l'essence même de la création, en accumulant les erreurs historiques et les approximations stylistiques, sans parvenir à rendre justice à l'esprit de Balenciaga, qui se définit précisément par la rigueur, l'équilibre et une maîtrise parfaite des volumes.

Dior par Grazia Chiuri
Nous lisons sur le cartel : «D’une simplicité apparente, cette robe en soie est décorée d’une véritable millefleurs médiévale, comme on en trouve de merveilleux exemples dans la tapisserie de la toute fin du Moyen Âge. Sous une surface abstraite, immatérielle, foisonnent des semis de fleurs et de végétations, comme flottants, que viennent animer lapins et oiseaux, dénotant une affinité commune entre Christian Dior (1905-1957), jamais insensible à l’art médiéval, et Maria Grazia Chiuri, dont le goût pour l’ensemble de tapisserie de La dame à la licorne est connu. »
Critique du cartel : Ce cartel souffre d'un excès de lyrisme qui finit par nuire à la clarté de l'information. L'expression "surface abstraite, immatérielle" est particulièrement problématique, car elle ne correspond à aucune réalité concrète : soit il y a une surface matérielle (ici le tissu de soie), soit il n'y en a pas. Ce choix de mots confus obscurcit le propos au lieu de le clarifier. Par ailleurs, il aurait été pertinent de préciser que le motif floral est un imprimé et non une broderie ou une tapisserie, contrairement à ce que pourrait laisser entendre la référence aux tapisseries médiévales.
Le cartel insiste sur l'inspiration médiévale, en évoquant notamment les millefleurs des tapisseries de la fin du Moyen Âge, en particulier La Dame à la Licorne, appréciée par Maria Grazia Chiuri. Cependant, cette focalisation laisse de côté un aspect fondamental de la robe : son esprit New Look, en écho direct aux créations emblématiques de Christian Dior. Cette robe en soie, avec sa silhouette marquée par une taille fine et une jupe ample, renvoie clairement à la révolution stylistique instaurée par Dior en 1947, qui réintroduit une féminité exacerbée après les années de guerre.
L'association entre la tradition médiévale et l'élégance du New Look est précisément ce qui donne toute sa force à cette création. En liant l'évocation historique des millefleurs avec la structure iconique de Dior, Chiuri propose une réinterprétation contemporaine qui, sans se réduire à une simple citation, rend hommage à la fois à l'héritage de la maison et à un imaginaire artistique intemporel.
Ainsi, l'analyse du cartel aurait gagné en pertinence en mentionnant ce dialogue entre passé et présent, tradition et innovation, qui caractérise le travail de Maria Grazia Chiuri pour Dior. En omettant cet aspect essentiel, le cartel manque de souligner ce qui fait la singularité et la richesse de cette création.


Thom Browne
Nous lisons sur le cartel : « C’est dans la fluidité des genres que Thom Browne marque les esprits lors de défilés souvent dérangeants. Ses deux silhouettes s’abreuvent à l’art du 18ème siècle, mais en le revisitant sur deux modes différents et complémentaires. La silhouette féminine réinterprète la robe panier aux larges hanches en une allusion déstructurée tandis que la silhouette masculine se compose d’un costume en seersucker, tissu gaufré alternant les lignes bleues et blanches, devenues robe à panier à son tour. Dans une vraie confusion du genre, l’inspiration Versailles-Trianon, sage et classique, prend ici un parfum de scandale, le côté Marquis de Sade de la chose. »
Critique du cartel : Ce cartel semble céder à une interprétation simpliste et quelque peu sensationnaliste des créations de Thom Browne. Tout d'abord, en ce qui concerne la silhouette féminine, si l'inspiration du XVIIIe siècle est effectivement perceptible à travers le volume des hanches, cette ampleur est ici obtenue non par un panier traditionnel mais par un manteau mi-long en tweed rose poudré. Ce choix de tissu, typique de Browne, réinterprète les formes historiques sans les imiter littéralement. Par ailleurs, la perruque portée par le mannequin, avec ses boucles empilées et sa hauteur marquée, rappelle davantage les coiffures à la Fontanges, populaires sous Louis XIV, que les styles plus sobres et contrôlés des décennies ultérieures.
Quant à l'aspect de la cravate contemporaine, il s'agit d'un détail particulièrement pertinent, car il introduit un élément masculin dans une silhouette traditionnellement féminine, soulignant ainsi la volonté de Browne de jouer avec les codes de genre, plutôt que de simplement évoquer les styles vestimentaires du XVIIIe siècle.
Concernant la silhouette masculine, le cartel semble également manquer de précision. Ici, la forme est renforcée par l'utilisation subtile du seersucker, ce tissu gaufré emblématique des vêtements d'été masculins américains, dont les rayures bleues et blanches sont habilement utilisées pour dessiner les contours d'une cravate et d'un gilet. Cette construction souligne le thème du travestissement, cher à Browne, en créant une illusion visuelle qui défie les conventions vestimentaires.
Enfin, la référence au Marquis de Sade paraît ici déplacée. Rien dans ces silhouettes ne renvoie à l'imagerie scandaleuse et transgressive de l'auteur des 120 Journées de Sodome. En revanche, ces créations évoquent plus justement le Chevalier d'Éon, figure ambiguë du XVIIIe siècle, célèbre pour son goût du travestissement et ses provocations à l'égard des conventions sociales et genrées. Ce choix de référence aurait été plus précis et historiquement cohérent pour caractériser l'ambiguïté des créations de Browne, qui joue moins sur le scandale sexuel que sur la déconstruction des identités et des rôles traditionnels.


Vivienne Westwood
Nous lisons sur le cartel : « Toute sa vie, Vivienne Westwood a su mêler un sens de l’excentricité provocatrice à une parfaite connaissance des codes, sociaux comme culturels, sachant promouvoir les domaines qu’elle défendait, du punk à l’écologie. Très tôt, sa passion pour le 18ème est manifeste, elle y trouve une silhouette propre à donner au corps une puissance et une sensualité qu’elle ne cesse de mixer à des références plus ethniques. Elle reprend dans cette silhouette ce répertoire, rappelant les lampas, étoffes précieuses en relief de l’époque Louis XV, tout en injectant un peu de glam rock. »
Critique du cartel : Bien que le cartel tente de saisir l'essence du travail de Vivienne Westwood, il semble ici déconnecté de la réalité de la pièce présentée. Certes, Westwood a bâti sa réputation en mélangeant références historiques, excentricité punk et préoccupations écologiques, mais cette robe ne correspond que partiellement à cette définition. Où se manifeste l'esprit punk, caractérisé par une attitude subversive et une esthétique souvent brute, dans cette création ? Nulle part. De même, l'engagement écologique de Westwood, visible dans ses dernières collections par l'utilisation de tissus recyclés et de coupes plus dépouillées, est ici absent.
Quant à la mention de l'influence glam rock, elle paraît également hors de propos. Le glam rock des années 1970, incarné par des figures comme David Bowie ou Marc Bolan, se définit par une esthétique excentrique mais souvent minimaliste, jouant sur le contraste du noir et du blanc, les matières brillantes et les silhouettes androgynes. Or, cette création, richement travaillée et manifestement inspirée des lampas du XVIIIe siècle, avec ses brocarts lourds et ses motifs somptueux, ne partage rien avec cette esthétique.
Enfin, si l'on doit parler de l'influence du XVIIIe siècle, il aurait été plus pertinent de mentionner l'intérêt de Westwood pour les corsets, les paniers et les coupes exagérément structurées qui, eux, se retrouvent régulièrement dans ses créations. Cette robe, malgré son raccourci audacieux au-dessus des genoux, reste un exemple de travail de couture luxueux, plus proche d'une interprétation néo-baroque que d'un véritable hommage à l'esprit rebelle du punk ou du glam.
En définitive, cette analyse du cartel semble trahir une méconnaissance de l'œuvre de Westwood, confondant ses diverses influences sans distinction et passant à côté de l'essence même de la créatrice, qui a su, mieux que quiconque, mêler provocation et raffinement avec une conscience politique affirmée.

Rick Owens
Nous lisons sur le cartel : « Rick Owens se rêve en « esthète dérangé », lui qui confie être : « très superficiel, malheureusement, en matière d’art : j’ai besoin qu’une œuvre soit auréolée du prestige de l’histoire ». Cette silhouette mêle l’art aztèque et le film Metropolis de Friz Lang (1927), tout en présentant une monumentalité égyptienne, telle que les premiers temps de l’égyptomanie, à la toute fin du 18ème siècle, l’ont fixée dans la culture visuelle européenne. A la robe à panier aux plissés sensuels répond la coiffe presque pharaonique. A Venise, un sarcophage veille sur la maison du créateur. »
Critique du cartel : Ce cartel semble avoir pris les déclarations de Rick Owens au pied de la lettre, sans exercer la distance critique nécessaire à une véritable analyse historique. Si l'intérêt d'Owens pour l'Égypte ancienne est bien documenté, il faut rester prudent face à ses affirmations, surtout lorsqu'il reconnaît lui-même avoir une culture artistique superficielle. En réalité, la coiffe présentée n'a rien de spécifiquement égyptien ; elle s'inspire davantage des coiffes traditionnelles mongoles, reconnaissables à leurs formes imposantes et à leurs ornements complexes. Cette confusion est regrettable, car elle trahit une méconnaissance des codes vestimentaires historiques et ethnographiques.

Quant à la robe elle-même, l'association avec une "robe à panier" est également problématique. Si l'on devait vraiment trouver une influence du XVIIIe siècle, il serait plus juste de parler d'une robe à la française, typique du règne de Louis XV, avec ses plis Watteau et son ampleur imposante. Cependant, cette silhouette manque d'un élément crucial : le corset, incontournable à cette époque pour structurer la silhouette et modeler le buste. Cette omission change radicalement l'interprétation de la tenue et montre une méconnaissance des fondements de la mode du XVIIIe siècle.
Enfin, la référence au film Metropolis de Fritz Lang paraît également discutable. La monumentalité de cette création, avec son côté imposant et ses formes anguleuses, évoque plus directement l'univers de Star Wars, en particulier les costumes des impératrices et des reines, dont les silhouettes théâtrales et les inspirations orientales sont bien plus évidentes.

En définitive, ce cartel aurait gagné en pertinence en adoptant une approche plus nuancée et rigoureuse, tenant compte des multiples influences de Rick Owens sans se contenter de répéter ses déclarations. L'historien de la mode et de l’art doit rester vigilant face au discours des créateurs, souvent teinté de stratégie marketing et de storytelling, et privilégier une lecture critique et documentée des pièces présentées.

Fendi par Silvia Venturini Fendi
Nous lisons sur le cartel : « Cette robe est issue d’une collection hommage de la maison romaine à sa longue collaboration avec le créateur allemand Karl Lagerfeld, débutée en 1965. Silvia Venturini Fendi s’est plongée dans les archives des créations du « Kaiser » et dans ses esquisses pour composer cinquante-quatre silhouettes, comme autant d’années de complicité créative. Le motif géométrique répété fait référence aux pavements de marbre ou de faïences emblématiques des sols des palais de la renaissance. La marche d’autel de la Bâtie d’Urfé, dans la chapelle de ce château de la Loire, est l’un des plus beaux exemples de pavement de faïence en France. »
Critique du cartel : Si la première partie du cartel, concernant l'hommage de Fendi à Karl Lagerfeld, est parfaitement fondée, l'analyse du motif géométrique de la robe témoigne d'une étonnante méprise historique. Associer ces formes simples aux pavements de la marche d'autel de la Bâtie d'Urfé relève d'une comparaison hasardeuse et, pour tout dire, inappropriée. En effet, cette pièce exceptionnelle de la Renaissance française se distingue précisément par son ornementation complexe, un vocabulaire décoratif riche en arabesques, rinceaux et chutes végétales, typiques du style maniériste. Rien, dans les lignes épurées du motif de cette robe, ne permet de justifier une telle analogie.

De plus, prétendre que ces motifs sont spécifiquement liés à l'esthétique Renaissance revient à ignorer leur universalité. Les motifs géométriques utilisés sur cette robe sont remarquablement simples et trouvent des équivalents à travers l'histoire et les cultures, des parquets de Versailles aux broderies byzantines du haut Moyen Âge, en passant par les étoffes Kasaï du Congo. Ce sont des formes fondamentales, presque archétypales, qui échappent à une classification aussi étroite et européenne.

Faire un parallèle aussi direct avec la Bâtie d'Urfé semble donc être une tentative malavisée de donner une profondeur historique à un élément décoratif qui, en réalité, échappe à une telle précision. En imposant cette lecture, le cartel semble avoir cédé à la tentation d'un storytelling forcé, préférant un raccourci séduisant à une analyse plus rigoureuse et informée.
Une telle confusion, volontaire ou non, est regrettable, car elle trahit une méconnaissance des codes esthétiques et des répertoires décoratifs. L'historien de la mode, comme de l'art, se doit de résister à ce genre de simplification, qui déforme plus qu'elle n'éclaire les créations contemporaines.
II Réponses du musée du Louvre
Curieux et intrigué par cette exposition, j'ai décidé d'adresser mes questions au Louvre, espérant obtenir des éclaircissements sur certains aspects qui m'interpellent. À ce jour, je n'ai reçu aucune réponse de leur part. Vous trouverez ci-dessous les interrogations que je leur ai soumises.
L’exposition présente des pièces contemporaines mais semble ignorer totalement certaines maisons historiques majeures comme les Sœurs Callot, Chéruit ou Jacques Fath. Ces absences relèvent-elles d’un choix curatorial ou de contraintes particulières ?
Le terme de « couture » revient fréquemment dans les supports, or de nombreuses tenues relèvent clairement du prêt-à-porter. Ce flou terminologique ne risque-t-il pas de créer une confusion, notamment auprès d’un public international peu familier avec les distinctions propres à la mode française ?
La scénographie est spectaculaire — parfois au détriment de la lisibilité. Pouvez-vous nous en dire plus sur son budget global et ses intentions narratives ? A-t-elle été pensée en concertation avec des historiens de la mode ?
Certains cartels recourent à un vocabulaire particulièrement lyrique — je pense à l’expression « crinoline abstraite », par exemple. Pouvez-vous expliciter ce que recouvrent de telles formules, parfois déconcertantes pour les visiteurs ?
L’absence de créatrices majeures comme Guo Pei — dont le travail fait justement écho à la monumentalité et aux références historiques — est étonnante. Pourquoi son œuvre n’a-t-elle pas été intégrée ?
Plus largement, comment avez-vous défini la ligne curatoriale de l’exposition ? Quels ont été les critères de sélection des maisons et des créateurs représentés ?
Enfin, permettez-moi une question plus directe : l’exposition vise-t-elle principalement à valoriser la tenue de futurs défilés de mode au sein du musée, ou répond-elle à une réelle volonté de transmission culturelle ? Pourquoi ne pas avoir opté pour un propos plus structurant — par exemple une exposition sur La mode sous Marie-Antoinette ou une monographie sur Hippolyte Leroy, qui aurait permis un véritable dialogue entre mode et histoire ?
Je m'interroge sur le silence du Louvre. Mes questions sont-elles jugées trop incisives ou simplement ignorées parce que je ne représente pas un grand média officiel ? Pourtant, en tant que citoyen, j'ai le droit de questionner une institution publique et d'attendre une réponse, d'autant plus qu'il s'agit de fonds publics. Fort de ma formation d'historien de la mode, mes critiques sont fondées et constructives. Nous sommes tous perfectibles et je serais heureux de comprendre leur point de vue, s'il diffère du mien. Je vous laisse seuls juges de ce silence.
V conclusion Le Louvre à l'heure du Branding
La récente polémique autour du Louvre met en lumière un paradoxe fascinant : un musée érigé comme temple de la culture universelle, mais gangrené par des intérêts corporatistes et des décisions dignes d'un conseil d'administration. Alors que le monde entier se tourne vers ce sanctuaire des arts pour y trouver l'excellence, il semble que certains de ses dirigeants soient plus préoccupés par la gestion de leur image que par l'intégrité de leur mission. Sous couvert de modernité, de diversité et de digitalisation, c'est souvent le spectacle de l'opportunisme qui se joue, une tragédie en trois actes où l'art est relégué au rang de simple produit marketing.
Peut-on encore parler d'art lorsque les chefs-d'œuvre deviennent des accessoires de communication, des prétextes pour justifier des stratégies commerciales dignes des grandes multinationales ? La question n'est pas seulement de savoir si le Louvre doit s'adapter à son époque, mais à quel prix. Faut-il sacrifier l'âme même du musée sur l'autel de la rentabilité et du politiquement correct ? Faut-il que la Joconde devienne le prétexte d'un énième partenariat lucratif, réduite à un logo comme une vulgaire marque de sneakers ?
Au fond, la véritable question est peut-être celle-ci : que reste-t-il d'un musée lorsque ses salles se vident de sens et se remplissent de selfies ? Quand l'art devient un hashtag et la culture une simple expérience utilisateur, ne sommes-nous pas en train de trahir l'essence même de ce lieu ? Le Louvre mérite mieux qu'une stratégie marketing, il mérite une vision. Et cette vision ne devrait pas être dictée par les algorithmes ou les actionnaires, mais par le respect de l'art, de l'histoire et de ceux qui en font leur passion.
Enfin, faut-il voir dans cette exposition une tentative maladroite de séduire le monde de la mode pour attirer les défilés et les événements lucratifs ? Le choix des maisons présentées, l'approximation historique et la scénographie spectaculaire semblent parfois plus proches des stratégies publicitaires que de l'exigence muséale. En sacrifiant la précision au profit du sensationnel, le Louvre ne risque-t-il pas de réduire son rôle à celui d'un simple décor pour les futures Fashion Weeks ?
En d'autres termes, un musée qui oublie d'être un sanctuaire devient un simple centre commercial de la culture, une coquille vide prête à être consommée, puis jetée. Peut-être est-il temps de rappeler à ceux qui prétendent le diriger que l'art ne se gère pas comme une startup, et que l'histoire ne se monétise pas comme une application. Sinon, il ne restera bientôt plus du Louvre que des murs vides et des slogans creux.
Thierry TESSIER
[1] https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/exposition-la-haute-couture-s-invite-au-musee-du-louvre_7037927.html

















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